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Les ergonomes répondent présent au SOS lancé par l’Association des gestionnaires des établissements de santé et de services sociaux (AGESSS)

18 avril 2016

Le SOS lancé par l’Association des gestionnaires des établissements de santé et de services sociaux (AGESSS) dans l’édition du Devoir datée du 20 Avril 2016 est centré, pour des raisons qui se comprennent bien, sur le stress, la dépression, l’épuisement professionnel des gestionnaires de premier niveau du réseau de la santé. Les ergonomes que nous sommes voudraient également pointer que les causes (et donc les pistes de solutions) sont à chercher du côté du travail lui-même, de ses conditions, de son sens, et même de ses résultats.

Des causes identifiées

Bien que les sources concrètes dans chaque situation de travail peuvent être différentes, l’origine des troubles dont souffrent les gestionnaires de premier niveau du réseau de la santé sont connus. Ils résident dans l’approche de l’activité humaine au travail sur lesquels la réorganisation du réseau se fonde qui relève d’un modèle de « l’exécutant » : celui-ci accomplit telle tâche, dans tels délais, en se conformant à telles procédures qu’il lui suffit d’appliquer, ce qui le rend interchangeable. Chacun sait qu’il n’en va pas ainsi, et les recherches en ergonomie l’ont largement démontré.

Personne ne réalise exactement le travail qu’on lui demande de faire et c’est tant mieux ! La complexité du travail, sa variabilité, ses aléas, font qu’il est impossible de tout prévoir : travailler signifie anticiper, réguler, faire appel à son expérience et à celles des collègues, bref « être innovant ». De plus, chacun souhaite se retrouver dans ce qu’il fait, développer des compétences et pouvoir les mobiliser. C’est à cette condition que le travail peut devenir un vecteur de santé.

Ces stratégies individuelles et collectives, qui tout à la fois émanent de l’activité de travail et la réalimentent, sont malmenées par l’intensification et la densification du travail dont témoigne le sondage rendu public par l’AGESSS. On en connaît les caractéristiques : un enchevêtrement de contraintes multiples sur le rythme de travail (sur le bon déroulement des opérations quotidiennes, être disponible et à l’écoute du personnel, gérer les bénéficiaires et les prestataires de service, répondre aux commandes organisationnelles, etc.), l’incohérence entre attentes exigées et ressources offertes, la dimension politique du travail de gestionnaire de premier niveau (pris en sandwich entre le personnel et la haute direction), l’absence de soutien et de reconnaissance ainsi que le manque d’autonomie et de marges de manœuvre. Toutes ces caractéristiques engendrent des arbitrages de plus en plus fragiles entre délais à tenir et qualité du service, ou encore la réquisition de la vie hors travail, soit parce que les horaires débordent, soit parce qu’on réalise chez soi les travaux en retard.

Aller vers une organisation capacitante

Tout cela n’est pas une fatalité. Jusqu’à maintenant, les changements organisationnels sont fondés sur le modèle de l’exécutant. Pourtant, depuis plusieurs années maintenant, les ergonomes proposent celui de l’organisation capacitante c’est-à-dire une organisation qui serait capable d’évaluer les besoins en termes de ressources associés aux projets successifs des établissements de santé, et, en cas de nécessité, d’accroître ces ressources ou de revoir les objectifs. Une telle organisation a des règles permettant de favoriser : le développement des capacités des gestionnaires et des travailleurs, la préservation et le développement des marges de manœuvre des gestionnaires et des travailleurs, le développement des capacités des gestionnaires et des travailleurs impactés par les transformations en cohérence avec l’appréciation de l’éventuel déséquilibre entre les performances attendues, les capacités des acteurs et les ressources rendues disponibles ainsi que la définition claire des objectifs et des arbitrages.

Des pistes de solutions

Cela passe par une redéfinition des outils de gestion utilisé tels que le lean qui permet la chasse aux tâches à non-valeur ajoutée mais qui oublie de prendre en compte les connaissances de terrain des gestionnaires et des travailleurs, laisse croire que ces tâches sont des temps où les travailleurs ne font rien, réduit les marges de manœuvre des travailleurs, ne permet pas d’envisager certaines de ces tâches comme des ressources et ne permet pas la prise en compte de la variabilité dans les situations de travail.

Cela passe par le fait de compléter d’autres outils de gestion tels que les indicateurs de performance. Le problème central de ces indicateurs est qu’ils privilégient les informations concernant la performance de production et non la performance de l’activité de travail. Il y a, de ce fait, peu d’indicateurs sur la santé au travail, la sécurité, la qualité réelle des services, la reprise des erreurs ou le traitement des réclamations, les difficultés des travailleurs pour tenir les délais, les contraintes de réalisation, les contraintes de maintenance des équipements, etc.

Cela passe par la mise en place de nouveaux dispositifs de gestion tels que les dispositifs de gestion du savoir des travailleurs qui sont l’occasion d’aller au-delà des règles générales permettant de concevoir les situations de travail à travers les modes opératoires et les temps de réalisations théoriques. Ils doivent être l’occasion d’apprendre à connaître les dimensions de variabilité, de singularité (de bénéficiaires, d’outils, de contexte, etc.) dans lesquelles se déploie l’activité de travail. Cela nécessite une méthodologie particulière afin de mettre en mots ces savoirs. Ce qui conduit à une évolution majeure du rôle et des compétences particulières dans toute la chaine hiérarchique afin d’être en capacité de construire et de gérer des espaces de discussion centrés sur l’activité de travail.

Enfin, cela passe par une coopération accrue entre gestionnaires de premier niveau et entre travailleurs pour construire des ressources collectives à la réalisation du travail. Cela ne se résume pas à s’entendre et se mettre d’accord sur la manière commune de mener à bien une activité. Il y a un vrai travail de coopération à construire. C’est un processus complexe dans lequel il est nécessaire que s’accomplisse une explicitation des différends des gestionnaires ou des travailleurs, concernant les différences de points de vue et de pratiques de leur travail. Sans ce travail de coopération, les tensions transforment les relations de travail entre collègues en relation de contrôle de l’activité des uns par les autres augmentant d’autant la pression psychologique.

Face au SOS, les ergonomes répondent présents

Les membres de l’association professionnelle des ergonomes du Québec (APEQ) spécialistes des questions organisationnelles que l’on retrouve dans des institutions telles que l’Institut Robert-Sauvé en santé et sécurité du travail (IRSST), à la Commission des normes, de l’équité et de la Sant sécurité du travail (CNESST), dans les services de santé au travail ainsi que ceux en pratiques privées sont prêts à travailler avec le ministère et l’AGESSS pour que cesse la fatalité et que le réseau de la santé du Québec devienne un réseau en santé.

 

 

Source : Membres de l’APEQ


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